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Histoire de l'Orthodontie
03/12/2012 à 00h40
ESSAI : HISTOIRE DE L’ORTHODONTIE. Par Dr HICHAM KHAYAT. CASABLANCA
INTRODUCTION.
La connaissance approfondie d’une discipline ne peut faire l’impasse sur ses racines. La lecture historique d’une discipline éclaire d’une lumière nouvelle son évolution ainsi que le point de départ des grandes lignes de séparation qui aujourd’hui encore, divisent l’orthodontie et les orthodontistes.
Dans ce travail, modeste, les grandes étapes de l’évolution de l’orthodontie sont relevées et replacées dans leur contexte scientifique, politique et social. Comme nous l’ont conseillé plusieurs collègues qui ont bien voulu nous transmettre leur remarques en cours de rédaction, nous avons volontairement privilégié l’article facile à lire au détriment du recueil exhaustif des faits qui aurait pu rebuter le plus grand nombre.
LES EMPIRIQUES
ABOU EL QUASSI (ABULCASSIS) ,médecin à Cordoue, peut être considéré comme le premier orthodontiste de l’histoire de la civilisation arabe. Il conseillait le traitement de l’encombrement des dents par extractions ou par limage et induisait le déplacement dentaire par la pression intermittente des doigts. Il a relayé et développé les acquis des civilisations précédentes. Son apport, consigné dans une encyclopédie en trente volumes contient aussi quantité de schémas et de dessins techniques.
Mais les historiens occidentaux de l'art dentaire s'accordent a reconnaître que c'est FAUCHARD, 1728, dans son célèbre "Traité des dents" qui, le premier, a décrit les moyens du traitement orthodontique. Le chapitre traitant de l'orthodontie (le mot en lui même ne sera “ inventé ” que bien plus tard) s'intitule : "Des dents tordues, mal arrangées et des moyens, des remèdes pour les raffermir…". Il y sera déjà question d'extractions préventives pour empêcher l'apparition de l'encombrement.
Dans le traité de FAUCHARD, des moyens thérapeutiques, évidement rudimentaires, sont préconisés, je cite :"Pour mettre une dent de niveau avec les voisines, on pourra y réussir par l'usage des doigts, du fil commun, de la soie, des petites plaques ou lames faites d'or ou d'argent ou d'autre matière convenable". Il y sera question de stripping: " Si une dent mal située peut être mise au rang des autres à la faveur de quelque espace, on redressera cette dent en la limant autant qu'il sera possible.".
Ce “limage” dentaire, aujourd’hui on dit “sculpture amélaire inter-proximale” ou “stripping” sera provisoirement abandonné, voire condamné, avec l’essor des thérapeutiques multi-bagues et ce au nom des principes conservateurs. Relevons quand même qu’on ne strippe pas facilement des dents baguées! Plus tard, la généralisation des attaches collées remettra le stripping au goût du jour et les principes conservateurs s’assoupliront…
Les “ redresseurs de dents ” repondaient à une demande exclusivement esthétique. Témoin de la motivation qui animait déjà certains patients, il s'en trouvait souvent, du temps de FAUCHARD, pour accepter que les dents mal placées soient redressées de force au fauteuil et ce sans anesthésie!!. Et déjà, on savait que ces dents, "luxées puis réduites", devaient être “ contenues en bonne position un certain temps ”.
LES ANCIENS
La liste est loin d’être exhaustive.
BUNON, 1743, conseille les extractions préventives de dents de lait.
BOURDET, 1757 améliore la lame métallique dont parle FAUCHARD et la perfore de petits trous pour passer du fil réalisant ainsi les premières ligatures d'un "arc" vers les dents.
HUNTER, 1771, est le premier à avoir l'idée d'utiliser un plan incliné pour réduire une prognathie mandibulaire. Ce qui n'est pas sans évoquer la conception de nos activateurs actuels.
FOX, 1803, plus connu pour son plan, allonge la lame de FAUCHARD jusqu'au molaires et surélève avec des blocs d'ivoire interposés entre les molaires pour permettre le saut d'articulé.
CATALAN, 1808, vestibule les incisives supérieures en linguo-clusion grâce à un "plan incliné" porté par l'arcade mandibulaire.
DELABARRE, 1815, décrit un dispositif à coiffe et ressort pour traiter les rotations unitaires.
KNEISEL, 1836, traite les prognathies mandibulaires avec une lame en or pour sauter l'articulé et décrit la première fronde occipito-mentonnière. Cette fronde est bien le premier "appareil orthopédique" décrit.
Les orthodontistes sont alors appelés des "redresseurs" et leur discipline, émergente, s'individualise de plus en plus. LEFOULON propose de l’appeler "ORTHODONTOSIE", DESIRABODE lui préfère l’appeler "ORTHOPEDIE DENTO-FACIALE".
LEFOULON, 1841, introduit le traitement sans extraction. Il a l'heureuse idée d'agir, à la fois, par une force élastique concentrique (ressort lingual) et excentrique (ressort vestibulaire). Il est le premier à obtenir une expansion maxillaire transversale.
SCHANGE, 1842, indique un ensemble d'astuces pour éviter le glissement des fils de ligature vers la gencive.
BREWSTER, 1840, est le géniteur du premier appareil orthodontique en caoutchouc qui n'est pas sans rappeler les concepts élastodontiques en vogue actuellement.
Avec SCHANGE, 1841, HARRIS, 1842, DESIRABODE, 1843, apparaissent les premiers appareils modernes avec ancrage molaire et arc vestibulaire ou lingual antérieur.
Beaucoup d'autres auteurs, que je me contenterais de citer, contribueront au développement des moyens thérapeutiques de l'orthodontiste: GUNNEL, LINTOT, 1841; CARABELLI, 1842, moins connu que son cingulum; MAYNARD, 1843; ROGERS, DWINELLE, 1845; TUCKER, 1850; EVANS, 1854 etc…. Si certaines propositions font sourire aujourd'hui, d'autres au contraire sont très pertinentes. Cela va du traitement au bois d'Hickory dont la faculté de se dilater au contact de la salive est utilisée pour créer un déplacement dentaire à SCHANGE qui, en 1842, va inventer la bague orthodontique avec un tube soudé vestibulairement ou encore, MAGILL, trente ans plus tard qui mettra au point le ciment permettant de la sceller.
ORTHODONTIE AMÉRICAINE
Avant la fin du 19ème siècle, les américains vont commencer à devancer les européens du point de vue technique. Le chef de file est FARRAR orthodontiste à BROOKLYN. En 1875 son enseignement insiste sur la fixité des moyens d'ancrage et sur les forces intermédiaires développées par vérin. Il pense qu'il y a une vitesse de déplacement dentaire à ne pas dépasser sans s’intéresser encore à l'intensité des forces mises en jeu. Cette vitesse limite de déplacement dentaire, FARRAR l'a fixée à 3mm par mois, ce qui semble excessif aujourd’hui. Les mouvements dentaires étaient produits par une série de vis que l'on activait régulièrement.
La métallurgie en était encore au stade artisanal. L'or était le seul matériau que l'on savait travailler de manière suffisamment aisée et précise pour qu'il soit utilisable en orthodontie.
En 1866, KINGSLEY met au point les forces extra-orale à ancrage occipital. En 1879, il réinvente le saut d'articulé pendant que MAGITOT re-conseille la luxation brusque et la réduction immédiate des dents en malposition.
Dés 1881, des auteurs introduisent la notion de “déplacement dentaire total”, c’est à dire la gression ou translation dentaire. Rappelons que tous les appareils décrits jusqu’alors ne permettent d’obtenir qu’un seul type de mouvement : la version libre.
1892 verra la naissance du premier système orthodontique permettant de contrôler les mouvements radiculaires développé par CASE qui s’attachera à le commercialiser. La “CASE DENTAL ORTHOPEDIA” verra le jour en 1908 à Chicago et fabriquera en série les pièces de l’appareil de CASE.
Julien PHILIPPE décrivant cette période a dit: “Dans cette époque on fait au mieux, sans règles mais néanmoins avec beaucoup d’ingéniosité. C’est le règne de l’empirisme ”
DEBUT DE SIECLE
Incontestablement, un homme va illustrer cette période mieux que tout autre: EDWARD H. ANGLE, né en 1855. Homme pieux, il veut donner à l’orthodontie américaine un visage scientifique et fonde, en 1887 à Saint Louis, MISSOURI, la première école américaine d’orthodontie. Au palmarès de l’ANGLE’S SCHOOL OF ORTHODONTICS figurent les noms de Charles TWEED, Alan BRODIE, Cecil STEINER et tant d’autres…
La même année, il propose une classification des décalages maxillo-mandibulaires. Il s’agit des Classes d’ANGLE mondialement célèbres. CASE, qui avait proposé bien avant ANGLE un système de classification similaire lui intececil ntera des procès en plagiat. S’inspirant d’EVANS, ANGLE “crée” en 1889 un appareil orthodontique comportant des bagues avec tubes vestibulaires soudés, le E- ARCH qui aura un grand avenir.
La thérapeutique est alors essentiellement mécaniste et l’orthodontie américaine, soutenue par un tissu industriel et commercial performant, se développe rapidement.
En 1908, ANGLE commence à s’intéresser à la croissance osseuse alors qu’en Europe des appareils fonctionnels ou orthopédiques sont déjà utilisés. En effet, huit ans auparavant, ROBIN a mis au point le monobloc et en 1909, HERBST va présenter sa célèbre bielle à la profession.
Avec ANGLE, le terme “diagnostic orthodontique” voit le jour. On parle de Cl 1, Cl 2 div 1, CL 2 div 2, Cl 3 sans s’intéresser encore au sens vertical et transversal. Des auteurs comme DUBRECHT critiquent l’approche d’ANGLE: “nommer n’est pas connaître”, “aucune Cl 2 ne ressemble à une autre ”… Il faudra attendre la diffusion plus large des méthodes téléradiographiques et de la photographie pour que s’affine d’avantage le diagnostic morphologique en orthodontie.
Des radiographies Mains-poignets sont utilisées pour déterminer l’âge osseux.
Les récidives sont extrêmement fréquentes.
En France, CAUHEPPE fait la distinction entre les malocclusions liées à des anomalies
1- des bases osseuses,
2- des procès alvéolaires,
3- de la denture.
Il pense que les malocclusions sont le résultat d’une incompatibilité entre ces trois étages. CAUHEPPE et FIEUX insistent sur la nécessité de relier toute malposition à un mécanisme étiologique et à ne pas se cantonner au seul aspect mécaniste. ROBIN et CHATEAU parlent de cascade étiopathogénique. En clair, on ne traite plus seulement un défaut d’alignement qui risque de récidiver mais on cherche à cerner les causes à l’origine de la disgrâce.
Bien qu’ANGLE ait suscité de son vivant controverses et procès, qu’il ait été accusé, notamment par CASE, de s’être approprié le travail des autres, son œuvre considérable le fait considérer aujourd’hui comme le père fondateur de l’orthodontie moderne.
Philosophiquement, ANGLE durant toute son existence était farouchement opposé à toute idée d’extraction au point que s’en est devenu un tabou dans la profession. Pour ANGLE, extraire c’est aller contre la volonté de la grande nature, “MOTHER NATURE”, qui ne crée rien sans but. Plutôt que d’extraire, il réalisait des expansions. Il enseignait que “la malformation des arcades était due à un arrêt de la croissance et qu’il suffit de rétablir une fonction normale pour que la croissance reparte et que tout rentre dans l’ordre”.
Le E-ARCH (E pour expansion), et la doctrine d’ANGLE sont diffusées en Europe grâce à son livre: “Malocclusion of the teeth” édité pour la première fois en 1907 et rencontrent un immense succés.
Constatant que le rétablissement d’une bonne occlusion ne suffit pas toujours à relancer la croissance, il émet l’hypothèse que des mouvements de racines sont nécessaires pour transmettre l’expansion que génère le E-ARCH aux bases osseuses.
L’ESPRIT DE SYSTEME
Devant le foisonnement d’appareillages et de techniques utilisés en ce début de siècle, il a senti, le premier, que l’avenir appartiendrait à un appareillage à la fois simple et performant. “Standardisé” à l’extrême, il sera facile et peu onéreux à produire mais sera néanmoins capable de déplacer une dent dans son ensemble dans les trois directions de l’espace. Il a écrit, a ce propos, une phrase très belle: “Dans l’art, dans toute chose, la suprême excellence est la simplicité”.
ANGLE se mobilise alors lui et ses disciples pour de longues recherches dans le but d’améliorer “l’appareillage”. Voici quelques grandes étapes qui résument le chemin parcouru en vingt années d’innovations permanente:
1911 Mise au point et commercialisation du PIN & TUBE APPLIANCE, il s’agit d’un assemblage tenon-tube vertical. Les tubes verticaux, solidaires des bagues, reçoivent des tenons soudés à un arc élastique. Les tenons sont dessoudés et ressoudés dans des positions différentes en fonction des mouvements à produire. Le contrôle des racines est possible mais le système s’avère extrêmement compliqué à mettre en œuvre pour des résultats généralement décevants.
1913 Mise au point et commercialisation du RIBBON ARCH (arc ruban). L’arc est plus large dans les sens occluso-gingival, c’est à dire qu’il est formé sur le plat et non sur le champ comme on a l’habitude de faire aujourd’hui. Les bagues portent des consoles ouvertes vers le bas et destinées à recevoir l’arc que l’on insère de bas en haut.
1925à 1928 Mise au point et commercialisation de l’EDGEWISE APPLIANCE dont il dira avec justesse: “c’est le dernier et le meilleur”.
THE LAST AND THE BEST
Quant l’EDGEWISE voit le jour, tout est encore en or ou en maillechort, le fil comme les attaches. Les attaches se déforment sous la pression du fil. Les bagues s’adaptent avec des vis de serrage, l’ensemble est “ un peu trop mou ”, bref, ce n’est pas du tout ce que l’on connaît aujourd’hui…Mais déjà tout est préfabriqué par des fournisseurs de matériel orthodontique, ce qui vaut à ANGLE une nouvelle volée de critiques de la part de ses contemporains : “rien ne vaut le sur mesure”, “orthodontie à visée commerciale”…
ANGLE meurt en 1930, c’est à dire 2 ans après la naissance de l’EDGEWISE. La méthode, qu’il laisse encore imparfaite, tombe presque dans l’oubli.
LES EUROPEENS, LES “EUMORPHISTES” ET LES AUTRES.
Au début du Vingtième siècle, l’’Europe est historiquement dans une de ses phases les plus instables. Une première guerre mondiale et les difficultés économiques et sociales qui en ont découlé créent un contexte peu propice à l’essor d’une orthodontie aussi onéreuse et éclectique que celle qu’on propose outre-Atlantique. Les méthodes thérapeutiques américaines sont peu diffusées.
Mais s’il y a un autre “père de l’orthodontie”, c’est bien ROBIN à qui l’on peut attribuer la paternité d’une bonne partie des thérapeutiques fonctionnelles. Médecin de formation, son problème à lui c’est la glossoptose. Le pharynx, qu’il nomme avec excellence “confluent vital fonctionnel” peut être obturé par une position trop postérieure de la langue ce qui entraîne selon lui un cortège de pathologies plus ou moins graves.
Dans la liste des pathologies du glossoptosique ROBIN écrit : menton fuyant, étroitesse des mâchoires, asthme, rhinites à répétition, respiration buccale, instabilité vaguo-sympathico-endocrinienne, prédisposition au troubles hépatiques, gastriques, appendiculaires, dos voûté, épaules tombantes, troubles intellectuels, instabilité caractérielle, fatigue, échecs scolaires , énurésie, frilosité, marche et parole retardées acrocyanose, hyper hydrose etc ....et il résume bien ses propos en disant : “ les glossoptosiques sans être des malades sont des mal portants”.
Malheureusement Robin ne s’imposera que très difficilement en France alors même que ses travaux jouiront de la meilleure considération dans tous les autres pays d’Europe. Nul n’est prophète dans son propre pays…
Dans un deuxième temps, il proposera une théorie (une retrospection ?) pour expliquer l’efficacité du monobloc: l’Eumorphisme. C’est, selon ROBIN : “une science qui étudie les dysmorphoses organiques et squelettiques et les conditions de réalisation de l’équilibre parfait entre la forme et la fonction, préalable indispensable à un développement et à un état de santé optimal”.
Pour ROBIN, le plus important est d’établir une bonne ventilation. L’obtention d’une occlusion parfaite, contrairement à ANGLE, n’est pas considérée comme l’objectif premier.
WHITES ONLY
La première moitié du siècle connaît de graves récessions économiques mondiales. De larges couches sociales, en Europe comme en Amérique connaissent encore la misère. L’exclusion raciale est tolérée, voire justifiée, par “ la Morale publique ”.
L’Europe, colonialiste, est un terreau fertile pour les idéologies fascistes. Le nazisme s’installe en Allemagne pendant que les autres états européens versent dans l’ethnocentrisme. Les peuples des pays colonisés sont appelés des “primitifs” ou au mieux des “indigènes” et subissent, souvent avec violence, les corollaires de cet état de fait.
La science officielle est embrigadée dans des recherches politiquement orientées. Les archéologues allemands, encadrés par les S.S. retracent en les élargissant les antiques territoires des peuples germaniques. Dans les possessions africaines Belges, l’administration et les médecins colonialistes appliquent des méthodes céphalométriques sommaires ( mesure du P.C. ) aux peuples hutus et Toutsies et “prouvent” ainsi que les uns sont plus aptes à évoluer que les autres. Une partie de la population est alors favorisée par rapport à l’autre et bénéficie de “l’action civilisatrice” de l’homme blanc (alphabétisation, formation…).
Après la guerre, les Etats-Unis d’Amérique s’auto-proclament “leaders du monde libre”, “champions de la liberté”…. Chez eux, l’homme noir n’a pas encore acquis sa liberté, les criminels sont stérilisés et le Mac-carthysme décime les intellectuels qui ont le malheur de “penser autrement”.
Durant cette période de l’histoire de l’humanité, le concept de race est “vendeur”, en politique, dans les arts et dans la science elle même.
Grâce à MORGAN et à ses recherches sur la mouche drosophyle, le grand public découvre la génétique moderne. La “ génétique Mendeléenne ”, modèle théorique développé par un prêtre à partir d’observations sur les petits pois était perçue par les opinions publiques comme limitée au monde végétal, celle de MORGAN s’applique au vivant.
Trés vite, (trop vite ?), on établira l’indépendance génétique entre la denture et le squelette ce qui va avoir des repercussions immenses en O.D.F.
Les liens entre l’Europe et l’Amérique sont distendus par de longues années de guerres au point qu’il convient d’aborder séparément l’histoire de notre spécialité de chaque coté de l’atlantique.
Aux U.S.A.
ANGLE est mort, ses disciples, BRODIE et surtout STEINER continuent à améliorer l’EDGEWISE qui devient de plus en plus fiable. TWEED, est accepté à l’école un an à peine avant la mort du maître. Il applique rigoureusement pendant six ans les méthodes d’ANGLE mais il est mécontent de ses résultats. Il trouve que ses cas terminés présentent une biproalvéolie et incrimine le principe non-extractionniste. Vraisemblablement, TWEED n’aime pas les profils un tant soit peu convexes : “…You have my confession now, i look with loving to a proeminent mandible.”
TWEED connaît les travaux de MORGAN et l’indépendance génétique entre la denture et la face. Il devient de plus en plus difficile de défendre les idées d’ANGLE selon lesquelles l’orthodontie doit tendre à retrouver “l’harmonie naturelle” entre l’occlusion et la face. Cette “harmonie naturelle” est à la base des conceptions philosophiques d’ANGLE et relève plus de ses préceptes religieux que de l’observation scientifique : La nature est parfaite.
On pense aussi que normaliser la fonction ne permet pas de rétablir la morphologie précisément parce que le schéma facial est “génétique” donc prédéterminé et invariable : Un japonais a une tête de japonais, un noir une tête de noir…”. Les recherches téléradiographiques entreprises par BROADBENT grâce au mécénat de la famille BOLTON tendent à démontrer que la croissance du crânio-face est géométrique, radiale et qu’elle est donc figée génétiquement dés la naissance. Les méthodes de superposition qui ont été employées par BROADBENT, on le sait aujourd’hui, sont faussées à la base.
Informé des travaux de BROADBENT, TWEED édicte qu’il faut adapter le contenu au contenant (considéré alors comme une donnée primitive) et reprend ses anciens cas en réalisant des extractions. Les bons résultats qu’il obtient font oublier l’approche fonctionnaliste d’ANGLE.
Puisque toute possibilité d’agir sur les bases osseuses est niée, les décalages de Cl 2 et de cl 3 doivent être compensés en inclinant incisives supérieures et inférieures jusqu’au contact.
TWEED écrit : “ On ne peut plus compter que sur l’appareil”. Pour JULIEN PHILIPPE, c’est : “la victoire du réalisme le plus étroit, c’est à dire, limité à la zone alvéolo-dentaire”.
Dans une face qui se développe de manière rectiligne comme BROADBENT semble si bien le montrer, TWEED place les incisives inférieures bien droites sur le bord inférieur de la mandibule. Le “ confort intellectuel ” de l’orthodontiste est alors à son apogée…
Un peu plus tard, avec l’avènement de la céphalométrie, TWEED fixe arbitrairement, il le dit lui même, l’angle entre les incisives inférieures et le plan mandibulaire à 90°. Pour la première fois dans l’histoire des sciences médicales, une valeur fixée arbitrairemment prend force de loi.
L’orthodontie est alors faite de rigueur, de constructions géométriques souvent simplistes (angles, triangles, rectangles…). La “ précision ” est au degrés prés, au millimètre prés…
Des récidives fréquentes sanctionnent les résultats sur le moyen et le long terme.
Bien que ses conceptions soient à l’opposé de celles d’ANGLE, TWEED continue à utiliser l’EDGEWISE qu’il développe encore. Il va beaucoup contribuer à l’émergence du raisonnement mécanique en insistant notamment sur l’ancrage.
En Europe:
Le livre que ANGLE a écrit en 1907 a encore son statut de référence. TWEED est ignoré et combattu.
En Europe, DE COSTER en 1935 arrive, après des années d’efforts, à légitimer l’utilisation de l’acier. Il met au point la soudeuse électrique et la bande matrice qui vont permettre à tout orthodontiste de fabriquer lui même, dans son cabinet, pour pas cher et sur mesure les bagues nécessaires au traitement.
Négligés en France les travaux de ROBIN trouvent des échos favorables partout en Europe. ANDRESEN en Scandinavie, BIMLER, FRANCKEL, BALTERS et STOCKFISCH en Allemagne et d’autres encore en Espagne, en Italie et en Europe centrale reprennent et développent les travaux de ROBIN. Tout un arsenal thérapeutique fonctionnel est proposé. Les différents activateurs qui ont été mis au point durant cette période revendiquent leur filiation au Monobloc de ROBIN.
Pont, en France va proposer un indice qui serra connu sous son nom. Cet indice établit une corrélation statistique entre la largeur transversale de l’arcade et la largeur de la face. Dans le contexte d’une orthodontie non extractionniste où le déficit d’espace est récupéré presque exclusivement par expansion au deux arcades, un tel indice est précieux. En effet, il permet d’indiquer, de quantifier et de limiter le degrés de cette expansion. IZARD propose aussi un indice similaire.
Les extractions sont unanimement condamnées et les puristes de l’école de stomatologie de Paris dénoncent l’emploi même d’appareillages et prônent le retour à la rééducation stricte.
L’éternel débat sur la prééminence de la forme ou de la fonction semble opposer les deux continents
1955-1985:
Les années 50 correspondent à une période de croissance à l’échelle mondiale. Les pays du tiers monde commencent à s’affranchir du colonialisme. Le plan MARSCHAL aide l’Europe a effacer les séquelles d’une guerre fratricide. Le mode de vie américain, porté par une puissance médiatique sans précédent dans l’histoire de l’humanité, est admiré. L’orthodontie se développe très rapidement. C’est avant tout l’EDGEWISE de TWEED, constitué en méthode bien codifiée et presque sans concurrence qui va profiter de cette expansion.
Quelques innovations techniques vont considérablement améliorer l’ergonomie orthodontique. Grâce à l’alginate, les empreintes jusque là réalisées en plâtre se font plus commodes. La qualité des aciers orthodontiques s’améliore. Le composite de collage va bientôt éliminer les étapes rébarbatives du baguage…
Les forces utilisées, trop lourdes, valent aux appareillages orthodontiques une réputation d’instruments de torture. Des courants de pensée attachés à l’emploi de forces légères existent depuis JOHNSON, 1938, mais le caractère figé de la technique EDGEWISE empêche toute évolution dans ce sens ainsi que l’intégration d’idées nouvelles. Le dogme est solide.
BEGG fait connaître sa technique connue sous le nom de technique du fil léger (light wire). JARABAK, s’intéressant aux surfaces radiculaires des dents permanentes fait de même et préconise l’emploi de boîtiers à lumière plus étroite (018’’ inch) pour obtenir un meilleur contrôle avec des fils plus légers.
RICKETTS, introduit une méthode de traitement qui va rencontrer un succès important. Bien qu’issue de l’EDGEWISE, sa méthode est en rupture totale avec celle de TWEED. Tout d’abord, et l’histoire lui donnera raison, RICKETTS croit à la possibilité de modifier orthopédiquement la face et propose une orthodontie plus ambitieuse dans la mesure où l’action thérapeutique, limitée à la zone alvéolo-dentaire chez TWEED, est élargie aux bases squelettique. Il accorde plus d’importance aux facteurs fonctionnels, à l’environnement d’une malocclusion, que ne le fait TWEED ce qui vaut aux travaux de RICKETTS d’être plus rapidement acceptés en EUROPE.
L’analyse céphalométrique beaucoup plus affinée chez RICKETTS est soutenue par la prévision de croissance et la visualisation des objectifs de traitement. Les valeurs proposées sont des moyennes statistiques établies à partir d’échantillons significatifs et diversifiés et sont toujours accompagnées de leur écart-type. Elles varient avec l’âge du patient et s’adaptent à son type facial. TWEED a fixé ses normes “arbitrairement”, STEINER a fait une “étude statistique” sur un échantillon d’une vingtaine d’étudiants tous blancs et américains et RICKETTS, conscient de la “variabilité biologique et ethnique”, proposera des valeurs issues d’échantillons géants et qui s’appliquent mieux à la diversité des types faciaux américains (hispaniques, méditerranéens, négro-américains…).
RICKETTS va proposer la segmentation des arcs dont découle un meilleur contrôle de l’action thérapeutique des appareillages. Une famille d’alliages, l’Elgiloy, à base de chrome et de cobalt, adapté à la méthode est mise au point. Les bracketts utilisés intégrent, pour la première fois, des informations thérapeutiques par construction.
Plus tard, BURSTONE enracine la biomécanique orthodontique dans le terreau fertile des sciences physiques. La signification même de l’arc orthodontique évolue. L’arc est un ressort qui sert à développer des forces et des moments pour produire les mouvements désirés. Il ne s’agit plus de construire des arcs s’approchant progressivement de l’arc idéal full-size mais des ressorts aux effet mécaniques parfaitement calibrés et prédéterminés. Il démontre le bien-fondé de la segmentation des arcs Sa technique de traitement est servie par un alliage de Titane et de Molybdène qu’il a fait développer à partir d’un cahier des charges très précis. Ce fil est aujourd’hui très souvent considéré comme le meilleur fil disponible en pratique orthodontique parce qu’il allie une importante élasticité à une plasticité suffisante.
La période actuelle
L’orthodontie est maintenant pratiquée presque partout dans le monde. La prééminence grandissante de la culture occidentale, avec ses conceptions de l’optimum individuel induit des normes et des références nouvelles à l’échelle planétaire. La puissance culturelle et médiatique qui sert cette mondialisation des contenus et des concepts ne peut laisser indifférent.
Certains pays en voie de développement, et même parmi les pays développés, ne disposent pas encore de structures de formation spécialisées en orthodontie, alors que d’autres pays, comme le nôtre, ont décidé de créer une formation diplômante et de définir le cadre juridique de la spécialité odontologique. Le Maroc est riche actuellement d’une centaine d’orthodontistes formés dans des écoles françaises, américaines, est-européennes et tunisiennes.
Il existe de nos jours pratiquement autant de techniques thérapeutiques qu’il y d’auteurs éminents. Les “différences” entre ces techniques se résument parfois à quelques degrés de plus ou de moins dans l’angulation ou le torque de tel ou tel boîtier. Appliqués au même patient, les recommendations de tel ou tel auteur divergent parfois de manière importante. La qualité des auteurs ne nous permet pas de prendre position mais il n’est pas insensé, bien au contraire, de s’interroger sur la valeur scientifique réelle de leur conceptions. En effet, est scientifique ce qui peut être démontré et retrouvé par le raisonnement logique.
En outre, les querelles, parfois violentes, qui ont opposé pendant longtemps les différentes obédiences orthodontiques ont déplacé la nature du débat et corrompu l’effort de recherche. Plusieurs praticiens cherchent plus montrer ce qu’ils savent faire de mieux, à “ démontrer ” qu’ils ont raison qu’à réellement participer à l’évolution de la spécialité.
Des liens de plus en plus étroits se développent entre auteurs et fabriquants de matériel. Sans être a priori suspect, cet état de fait pousse à plus de vigilance et de lecture critique de la production scientifique actuelle. Et puis, ne risque-t-on pas de privilégier à terme les recherches économiquement productives au détriment des domaines fondamentaux qui sont toujours à l’origine des avancées les plus significatives.
Enfin, et même si des progrès décisifs ont été réalisés au niveau technique et matériel (nouvelles imageries, nouveaux alliages…) certaines avancées conceptuelles tardent à s’imposer. Le poids des habitudes…
En conclusion:
L'histoire nous enseigne que toutes les évolutions majeures en orthodontie s’opèrent sous l’impulsion de trois facteurs:
L’évolution des concepts scientifiques au sens le plus général.
L’évolution des matériaux.
L’esprit de synthèse et de système d'un grand homme.
Elle nous commande aussi une vigilance critique face à certaines méthodes, idées et concepts “prêt à porter”
On s’etonne aussi de retrouver dans les écrits d’auteurs très anciens, des idées présentées par des auteurs plus récents comme des innovations…
Constatons qu’il existe un lien étroit entre les conceptions thérapeutiques et les outils disponibles à l’époque que l’on considère. Les exemples abondent qui illustrent à quel point, en orthodontie, les considérations techniques influencent les attitudes thérapeutiques.
Enfin, si les concepts changent et que les dogmes se fissurent, les habitudes thérapeutiques, elles, n’intègrent que très lentement les avancées de la recherche fondamentale ou clinique. Tant que ça marche, pourquoi changer…
Dr Hicham KHAYAT
Casablanca
04/12/2022 à 08h05
Cher Hicham, en voyageant sur internet j’ai découvert une pépite que tu as publié sur l’histoire de l’orthodontie. C’est vraiment un très beau travail.
J’espère que tu vas bien. J’ beaucoup de bons souvenirs communs.
À bientôt 80ans…je vais arrêter mes cours d’edgewise. Peut-être à bientôt ´anytime anywhere ´
André Horn
04/12/2022 à 21h22
Très bien raconté.
Je rajouterai : " l'histoire n'a pas de fin" Charles Baudelaire
05/12/2022 à 09h36
Ahorn écrivait:
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> Cher Hicham, en voyageant sur internet j’ai découvert une pépite que tu as
> publié sur l’histoire de l’orthodontie. C’est vraiment un très beau travail.
> J’espère que tu vas bien. J’ beaucoup de bons souvenirs communs.
> À bientôt 80ans…je vais arrêter mes cours d’edgewise. Peut-être à bientôt
> ´anytime anywhere ´
> André Horn
Quel plaisir d’avoir de tes nouvelles. A bientôt à Casablanca j’espère.
05/12/2022 à 15h00
Tres bien écrit, passionnant. Une très bonne analyse des liens qui unissent les thérapeutiques orthodontiques et le contexte socio culturel et politique des époques. La difference de vue entre Amerique et Europe est ainsi tres bien décrite et expliquée. Tenir compte ou non des valeurs ethniques ou se baser sur des statistiques pures est souvent un gros dilemne. La nature, comme disait Angle, meme si elle poursuit un plan, n'est quand meme pas pas toujours en notre faveur dans son immédiateté
Juste corriger l'erreur de frappe:
"similaire lui intececil ntera des procès en plagiat".
--->intentera