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Comment s’en sortir la tête haute : mon expérience à la sécu
24/02/2012 à 04h30
Ce témoignage, mon premier post, fait suite à l’excellent post de cartman « Comment s'en sortir la tête haute? »
Un post qui pose la bonne question.
Toujours la même rengaine… Peut être. Mais peut être faudra t-il continuer à poser les bonnes questions jusqu'à ce qu’on ait la bonne réponse.
Avant de commencer, je tiens à préciser que le personnel que j’ai pu fréquenter à la sécu n’est pas en cause. La très grande majorité du personnel du centre était efficace et beaucoup faisaient plus que ce qu’ils étaient obligés de faire, à l’occasion même faisaient preuve d’initiative pour éviter qu’un dossier ne coince à cause d’une croix oubliée... Le travail été rapide, efficace, bien fait, rien à voir avec les clichés sur les fonctionnaires. Les assistantes dentaires étaient particulièrement efficaces.
En 2000 j’ai fait un remplacement de 6 mois dans un centre dentaire de la sécu. Le centre n’était pas déficitaire et pourtant les prothèses étaient moins chères que la moyenne.
Le dentiste n’était pas beaucoup payé, un peu moins de 20 000 francs. Mais 13éme et 14éme mois, tickets repas, CE qui m’a remboursé mon hébergement au ski. Les horaires étaient assez souples (la direction demandait surtout au cabinet d’être rentable), les dentistes travaillaient entre 32 et 35 h par semaine. Cela a d’ailleurs posé un problème car à l’époque on allait passer aux 35 heures ! ( il aurait fallu augmenter le temps de travail ! !). Comme il n’était pas possible de diminuer le temps de travail puisqu’on faisait déjà moins de 35h je crois que la solution a finalement été d’accorder 2 à 3 semaines de congés supplémentaires.
J’ai travaillé à cheval sur 2 années, donc versement d’un 13eme mois à la fin de l’année et d’un deuxième a la fin du contrat (normalement au prorata du temps de présence mais soit que c’était pas prévu dans le programme informatique, soit que l’employée ne savait pas la signification de prorata, on m’a payé deux 13émes mois complets plus un ½ 14ème pour un remplacement de 6 mois. J’ai quand même été obligé de rembourser un ticket repas que j’avais touché en trop.
La seule solution trouvée pour ne pas être déficitaire :
Inutile de multiplier les soins, plus je faisais de soins et plus je faisais perdre de l’argent au centre. Il a bien fallu se résoudre à faire comme le dentiste que je remplaçais :
- pas d’enfants
- pas d’urgences
- pas d’extraction. Lettre au stomato avec dents à extraire
- faire un maximum de prothèses
Un prothésiste travaillait sur place (plutôt bon), le prix des prothèses était réduit ce qui avait pour conséquence pour les patients au RMI (pas encore de CMU) que le prix demandé par la sécu était inférieur au remboursement RMI, ce qui obligeait à mettre des dents de luxe et des renforts en métal inutiles sur les prothèses pour augmenter le prix. D’autre part les RMI avaient droit à une nouvelle prothèse tous les 5 ans. (ils le savaient et en profitaient puisque ne payant rien) Systématiquement les RMI demandaient si leur prothèse avait déjà 5 ans. J’ai également fait quelques complets à des réfugiés Kosovars (c’était l’époque de la guerre au Kosovo) accompagnés par une assistante sociale puisque ne parlant pas français : là aussi dents de luxe etc..
De temps en temps aussi on faisait des prothèses pour des travailleurs au smic, ou des retraités au minimum retraite qui dépassaient le plafond RMI de quelques dizaines de francs. Eux prenaient soins de leurs prothèses et la gardaient 20 ans au moins car ils devaient payer un peu plus de 1000 Francs pour un complet (avec des dents de base et sans renfort en métal)
Donc pour résumer : on ne soignait pas les enfants car pas rentable et soins payants pour les parents, on les voyait à 25 ans (droit au RMI à partir de 25 ans) quand dents pourries, direction stomato pour extraction puis on leur faisait de beaux dentiers avec dent de luxe qui ne leur coûtaient rien
Quelques cas :
Un jeune, la trentaine, un gars normal qui avait fait quelques années d’études. Maxillaire : que des faux moignons en bouche, certaines racines déjà en train de se carier. Comment en est-il arrivé là : bon travail, bonne mutuelle, mise en place faux moignons, provisoire, licenciement économique, plus de mutuelle, moins d’argent, provisoire fini par casser, plus que des faux moignons, impossible de trouver du boulot, plus d’argent. Solution tout extraire même ce qui aurait pu être sauvé et complet haut.
Un jeune normal, la vingtaine, bac, université marche pas trop, veut s’inscrire à l’armée mais il manque 23, 24. Le reste des dents impeccable. N’est pris à l’armée que si problème des dents réglé. Pas 25 ans donc pas de RMI, il doit payer, pas assez de place il faut un stellite. La mère qui travaille n’a pas les moyens de payer un stellite. Doit se renseigner assistante sociale si aide. Quelques semaines plus tard on apprend : le jeune s’est suicidé.
J’ai vu aussi pas mal de RMI avec des bouches remplis de couronnes faites en privé mais des caries pas soignées.
Mais dans l’ensemble il y avait aussi de bons moments, ça se passait bien. Les patients étaient plutôt aimables et beaucoup apportaient un petit cadeau à Noël aux assistantes. Souvent ils revenaient rien que pour dire qu’ils étaient contents de leur complet. Un ancien boucher poussait la chansonnette en sale d’attente lorsqu’il avait rendez-vous afin de faire patienter les gens. Un turc a qui on avait fait des complets pour retourner au pays et trouver une femme et revenu tout content quelques semaines plus tard : si je cherchai aussi une femme il pouvait me présenter une nièce, très belle (mais un peu jeune)…
Dans l’ensemble, je dirai que les gens étaient plutôt bien, chacun faisait ce qu’il pouvait mais le système était délirant (NGAP, RMI) et ne laissait aucune échappatoire. J’ai l’impression que ça ne s’est pas amélioré.
J’aimerai aussi avoir l’avis d’Ameli à ce sujet. Son avis est souvent pertinent mais je le trouve aussi assez souvent gonflé et mal placé pour vouloir donner des leçons aux confrères qui essaient de s’en sortir la tête haute.
Moi, pour garder la tête haute j’ai préféré ne pas rester en France. J’avais pas le choix, et finalement j’ai bien fait. J’ai fini ma semaine, il fait beau, 30°, je vais faire un tour à la plage.
PS : il faut un Narik sur ce forum
24/02/2012 à 10h23
L'espérance de vie d'un Narik sur ce forum est limitée.
Merci pour ton récit, le jeune qui se suicide est vraiment une histoire horrible, et dire que la Sécu se dit «sociale». C'est une pompe à fric comme les autres, pas pire que Steichen finalement, ils se valent bien à exploiter la misère humaine et la pauvreté en affichant un vernis craquelé de solidarité et de respectabilité.
Nous n'en avons vraiment rien à attendre, vivement qu'on sorte de cette prison à l'air libre qu'on appelle Convention.
24/02/2012 à 10h55
hlnewc écrivait:
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> Moi, pour garder la tête haute j’ai préféré ne pas rester en France. J’avais pas
> le choix, et finalement j’ai bien fait. J’ai fini ma semaine, il fait beau, 30°,
> je vais faire un tour à la plage.
>
Ah, et où ça?
24/02/2012 à 11h33
Jolie histoire.
C'est donc que les centres de sécu ne font pas "de la merde", mais "le boulot de base rentable que permet la convention" (aka "de la merde").
Donc pas de prévention, pas de caries, pas de soins du tout d'ailleurs, mais sto et prothèse. C'est bien ça?
Si c'est ça, merci à Patatrasse et aux autres de bien le garder sous le coude comme argumentation dans les négociations: même vos centres, monsieur Van Roekhegem, ne s'en sortent pas, ils s'adaptent!
24/02/2012 à 13h04
Le plus intéressant étant de souligner que les centres dentaires de caisses primaires agissent exactement selon les mêmes principes de rentabilité prônés par un Steichen et surexploités par les centres mutualistes... en adaptant l'activité à la "clientèle"...
24/02/2012 à 15h23
L'histoire du jeune qui se suicide résume entièrement l'absurdité de la bureaucratie...
24/02/2012 à 16h32
hlnewc écrivait:
----------------
> Il a bien fallu se résoudre à faire comme le
> dentiste que je remplaçais :
> - pas d’enfants
> - pas d’urgences
> - pas d’extraction. Lettre au stomato avec dents à extraire
> - faire un maximum de prothèses
... pourquoi faire ces concessions?
Ton salaire aurait été le même à la fin du mois si tu avais travaillé en ton âme et conscience.
24/02/2012 à 23h22
Jeris dit:
... pourquoi faire ces concessions?
Exactement ! C’EST LE NŒUD DU PROBLEME. Tout au long de ce remplacement je me suis posé la question et j'en suis arrivé à la conclusion qu'en France il n'était plus possible pour un dentiste de travailler sans faire de concessions.
Le constat: je faisais aussi des soins, c’était 60% de mon temps et 20% du chiffre, les soins c’était plutôt par satisfaction personnelle ou pour me donner bonne conscience ?
Le centre rendait aussi des services puisqu’il permettait à des personnes, qui sans cela n’en avaient pas les moyens, de s’appareiller. Malgré tout il était clair que si les centres perdaient de l’argent ils seraient fermés. Le dentiste qui avait travaillé dans le même centre quelques années auparavant avait essayé de ne pas faire de concessions, en était même arrivé à travailler 1 à 2 heures de plus sans être payé pour essayer d’équilibrer. Le suivant que je remplaçais n’y est pas arrivé non plus. Donc la direction l’a envoyé faire un stage dans un autre centre de la sécu qui était rentable. Résultat :plus d’enfants, plus d’extractions (je rappelle qu’en 2000, l’ext c’était pas DC 16, le dét c’était 5+4…)
Alors j’ai essayé de corriger un peu, de faire un peu plus de soins, de soigner quelques enfants, j’ai été un peu moins rentable mais ce n’était évidemment pas à moi de tout chambouler durant un remplacement.
Dans quelle mesure peut-on tenir la sécu pour responsable ? Si je me souviens bien, la sécu était à l’époque consciente de la mauvaise prise en charge des soins et même favorable à une meilleure prise en charge. La revalorisation était même sur le point de se faire quand Aubry a tout bloqué au dernier moment (au grand désarroi de la sécu à l’époque).
IL EST PARADOXAL qu’on demande aux privés de soigner à perte alors que la sécu refuse de le faire. Le rôle de la sécu aurait surement été de soigner gratuitement les enfants et d’éviter ainsi que les caries ne se transforment en tr, gros amalgame et extraction à terme. Le centre n’aurait pas été rentable d’année en année mais l’aurait été sur la durée. Alors que là, le centre était rentable d’année en année mais à quel prix sur la durée pour la sécu comme pour les patients.
IL EST QUAND MEME GRAND TEMPS QUE LES DENTISTES COMPRENNENT QUE, de manière générale :
Durant longtemps chaque dentiste faisait des soins, des prothèses et s’en sortait sans se poser de questions. Puis les soins n’ont pas été revalorisés, les dentistes ont augmenté le tarif des prothèses. A un moment il n’a plus été possible d’augmenter les tarifs des prothèses et là on est en 2000. Il fallait commencer à faire des concessions. Certains dentistes ont commencé à sélectionner leurs patients (des patients de plus de 40 ans avec une bonne mutuelle). J’en ai entendu d’autre dire : puisque la sécu me paye ¼ d’heure pour le tr, il est fait en ¼ d’heure. On a commencé à voir des RMI avec des couronnes et des caries pas soignés ; le dentiste qui à l’époque avait voulu commencer par soigner les caries avant de remplacer les gros amalgames par des couronnes n’avait plus qu’à mettre la clef sous la porte. Mais comme les patients ne manquent et qu’il fallait toujours faire plus de couronnes, les caries étaient remises à plus tard…
Puis sont arrivés les implants, les spr 57 et sc 33 , ça a été une bouffée d’oxygène mais qui durant un temps a masqué les vrai problèmes.
A présent ON ATTEINT LES LIMITES DU SYSTEME : certains dentistes sélectionnent les patients rentables, se «spécialisent» dans les prothèses et cassent les prix, des centres spécialisés gérés par des financiers commencent à ouvrir. C’est une course de vitesse et il n’y en aura pas pour tout le monde ! Très bientôt l’omnipraticien de base n’aura plus que des soins de base pas rentables à faire.
Il est temps de comprendre que LA PROFESSION JOUE SA SURVIE !
Et le seul et unique responsable de ce genre de situation c’est : LA MAUVAISE PRISE EN CHARGE DES SOINS DE BASE.
25/02/2012 à 01h25
Le seul et unique responsable est l'impossibilité de se faire payer les soins au juste prix, ce qui est subtilement totalement différent.
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Quand Eugénol a exclu Narik, Eugénol a perdu un peu plus que Narik.
25/02/2012 à 10h23
hlnewc écrivait:
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> j'en suis arrivé à la conclusion qu'en France il n'était plus possible pour un dentiste de travailler sans faire de concessions.
... si, justement, s'il est des CD qui se doivent de travailler sans concessions, ce sont bien les CD des centres de soins de sécu, avec un salaire fixe indépendant du chiffre.
Ils sont beaucoup trop mal payés pour se préoccuper en plus de problèmes de rentabilité dont leur employeur lui même est le principal responsable: soins et chir. à perte et tarifs très bas des prothèses.
Ces prats manquent singulièrement de cojones pour aliéner ainsi leur indépendance et se foutre de la confiance que leur accordent leurs patients! Ils tiennent tant que ça à leur petite carrière, bien au chaud, protégés par la bonne mère sécu? Moi, c'est un comportement qui me fait gerber!
25/02/2012 à 12h35
Bah d'un autre côté, si au bout d'un mois on te dit "bon coco, ça va pas du tout ton CA là, faut se ressaisir" et qu'au bout de deux mois, on te dit "t'as pas compris la leçon ? bah tu peux aller bosser ailleurs", ça peut inciter certain à se plier.
25/02/2012 à 13h17
La période d'essai à être un mauvais dentiste, ensuite à être bon.
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Quand Eugénol a exclu Narik, Eugénol a perdu un peu plus que Narik.
25/02/2012 à 14h40
pour avoir consulté des offres d'emploi, les chir-dents soignants de la sécu (pas les CDC) sont rémunérés au pourcentage et non au fixe.
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je plie et ne romps pas.