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Le plan global
26/09/2012 à 15h20
Depuis un moment, on ne peut pas dire que le chiffre d’affaires crève le plafond. C’est pas nerveux-nerveux. Enfin, disons qu’on risque pas le beurre Naoute ! On fait bien de la dent, mais c’est pas du gros œuvre : on grattouille plus de la micro-cavité qu’on ne ravale de l’arcade complète.
Elle tombe bien, la nouvelle, là ! Apparemment, vu le sourire de requin décrépi qu’elle a balancé à l’assistante, elle vient se faire rénover toute la devanture. Je vais y montrer que j’ai le calibre !
Attends! J’ai pas fait des stages pour oualou ! Depuis que des coachs m’ont cornaqué le plan de carrière, j’ai décidé de gérer comme un vrai manadgeur : briefing et débriefing, protocoles et productique, analyses et statistiques, PTT et BA. CA.. J’optimise tous azimuts. Enfin… je commence demain. S’agirait de développer comme un pro l’entreprise dont, ne l’oublions pas, chuis le PDG, oui môssieur !.
On a tout récuré, tout désodorisé. C’est nickel, y’a pas de moutons sous le burlingue ni de traces de glaviot dans le crachoir. Ça flamboie ! Je n’ai plus qu’à me pointer, félin, sourire engageant et sourcils en accent circonflexe. Elle va être sciée en matant le matos, c’est tout tip-top high-tech. Quand elle aura lorgné sur le computeur toutes les photos (bifor-afteur) que j’ai compilées (après tri sélectif, pas con !), elle va se jeter sur le fauteuil la gueule ouverte, c’est évident. Allez, Pal, go!
Par St Fizz!
Quel repoussoir ! Même pour être polie, elle devrait pas retrousser les babines comme ça, la frangine ! Déjà que, vu de loin, c’est le genre remède à l’amour, alors là, quand elle décapote le clavier, ça t’inhibe recta tout fantasme fellatoire ! Elle a les crocs qui courent en vrac après le bifteck, enfin, ceux qui sont pas complètement mités.
Comme d’hab., j’expertise de haut en bas en la filant dans le couloir. Tas de foin, épaules tombantes, fesse triste, pattes en X, elle doit pas bosser pour Elite, foi de morpho-psychologue ! Vu les lorgnons, modèle culs de bouteilles, ce serait plutôt une taupe-model. Mais, bon, j’aime bien quand on part d’une calamité intégrale, la marge de plus-value est supérieure. Et je ne parle pas que point de vue biftons.
Une habile communication est essentielle, qu’y disaient, les coachs. J’applique :
- « Alors, Madame… »
- « Et bien voilà, Docteur, je dois avouer que je me suis laissé aller… »
- « Je vois bien, Madame. »
- « …mais que je suis aujourd’hui si complexée… »
- « C’est bien normal, Madame, on le serait à moins. »
- « …que je me suis enfin décidée à tout refaire… »
- « Sage décision, Madame, mais personnellement, je ne m’occupe que des dents. »
Le chantier qui s’annonce est titanesque. Quel panard ! Me v ’là gratifié, je me sens tout moderne : je m’en vais lui globaliser un plan au petits oignons, top rentabilité.
Etape 1 : j’examine : Pano, tour d’horizon circulaire, quelques rétro-alvéos, sondages, gratouillages et tapotages. Ok, va y avoir du sport !
Etape 2 : j’expose :
- « J’envisage pour vous, très chère Madame, une désincrustation calcaire généralisée, quelques chicotectomies éparses, une série d’endobturations gutta-perchiques, quatre bridges transitionnels résino-composites à visée prospective, puis une réhabilitation subtotale maxillo-mandibulatoire par éléments métallo-céramiques esthético-fonctionnels iono-scellés. »
Le boudin béat semble emballé, baba devant une telle démonstration de maîtrise professionnelle.
Je la sens mûre, j’enfonce le clou :
- « Et je te rassure, Josiane, si jamais t’avais les miquettes, chez Pal, on n’a pas mal, il fait tout sous narcose péri-tronchale ! ».
- « Mais, docteur, encore un détail, pourriez-vous me chiffrer l’ensemble, afin que je consultasse ma mutuelle ? »
- « Vous pensez bien, Madame, que mon équipe et moi-même vous avons d’ores et déjà préparé tous les documents contractuels afférents à ce beau projet. Voyez donc, ci-devant vous, un devis en bonnet difforme, le total à régler (50% tout de suite, merci) se trouve ici, au bas de la cinquième page. »
- « Laissez-moi sortir mes lunettes de mon sac. »
- « Mais bien sûr, faites, je vous en prie, après vous, bien au contraire, je n’en ferai rien ! »
Le laideron tire ses carreaux culs-de-bouteille de sa grotesque gibecière en toile sac à patates, et se colle le groin à cinq centimètres du papelard. J’ai moitié le trac, d’un seul coup.
…………
- « 13650 francs ?????? »
- « Euh, non, euros, très chère Mada… »
- « Mais je ne m’attendais pas du tout à ça ! »
- « Ah, bon ?, mais je.. »
- « Écoutez, je n’ai pas du tout les moyens pour l’instant et.. »
- « Vous pourriez p’ tête vendre votre bagnole ? »
Caramba! Je l’ai encore dans l’oignon !
Je vais refaire un stage, les mecs ! J’ suis pas au point. Pourtant, j’ai fait tout comme y z’ont dit, les réjouis chroniques en costard-craftouze, les experts en réussite éclatante et béatitude extatique.
Faut que j ‘me motive, faut que j’ me motive…