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Petit coup de déprime, là...
11/08/2014 à 20h32
Je suis de la promo 98, j'ai fait l'internat, j'ai été AHU, puis PH contractuel. J'ai quitté la fac en 2008 et j'ai enchaîné les collabs.
J'ai racheté un cabinet cette année, à quelqu'un qui partait à la retraite. 40 ans de bons et loyaux services. Très aimé de ses patients. Certains n'ont connu que lui comme dentiste pendant 40 ans.
Il m'a expliqué que quand il a démarré, le BNC représentait 60% du CA. Autres temps, autres mœurs.
Il a couronné à tour de bras. Des prep aux limites inexistantes, sur des dents à peine cariées, avec des endos aux cavités d'accès microscopiques. Ou alors des reconstitutions corono-radiculaires sans paroi dentaire résiduelle, avec plusieurs tout petits screw-posts. Alors c'est sûr, quand les inlay-cores sont passés à SPR57, il n'en a pas bien vu l'intérêt. Il a continué à faire ses reconstitutions. Et des Richemonds, aussi. Au moins, la Sécu ne pouvait pas lui reprocher de faire trop d'inlay-cores.
Le sc12 lui servait à se faire mieux rémunérer la visite de contrôle annuelle, au cours de laquelle il grattouillait les incisives mandibulaires à la curette de Gracey.
Il ne faisait pas de paro, pas de cario, pas de bilan radio.
Il bouchait des trous. C'était la dentisterie comme il l'a apprise en 1973.
Il a un peu évolué en 40 ans, mais pas tant que ça.
Il faisait ses anesthésies avec des aiguilles de 40/100 de diamètre. Alors il n'en faisait pas souvent, parce que ça fait mal.
De toutes façons, il n'avait plus tant besoin que ça de faire des anesthésies, depuis qu'il avait découvert un truc génial : cureter les caries à la turbine. Ça fait beaucoup moins mal. Bon, certes, ça laisse une bonne épaisseur de tissu mou, mais au moins les patients sont contents. Et ça, c'est le plus important.
Et puis un jour, il s'est mis à faire des composites postérieurs. Mais comme on ne lui avait pas appris à la fac, il les faisait un peu dans la salive.
D'ailleurs ses patients ne connaissaient pas la pompe à salive. Ni la position allongée du fauteuil. Ni la fonction détartreur du Varios 970, qu'il devait certainement un peu regretter d'avoir acheté.
Donc quand je suis arrivée, ils n'ont pas compris que je les allonge, que je porte un masque et des gants, que je mette la pompe à salive, voire même la digue, que je détartre toutes les dents, que je leur apprenne à se brosser les dents, que j'anesthésie pour une carie, que j'utilise le contre-angle, qui vibre tellement, pour cureter les caries, que je leur demande de ne pas se relever pour cracher en plein pendant la réalisation d'un composite, que je fasse autant d'étapes pour une couronne, ou un complet.
Par contre, ils trouvent normal qu'une couronne ne tienne que 3 ans, qu'on leur trouve des caries à chaque visite de contrôle, et d'avoir des racines résiduelles un peu partout et des fistules régulièrement.
Bref, "ben au moins, t'as du travail", comme dirait mon mari, qui n'est pas dentiste.
J'ai aussi du apprendre à l'aide dentaire de ne plus rien nettoyer avec un coton imbibé d'alcool à 70°, mais d'utiliser les lingettes, dont elle ne semblait pas trop savoir à quoi elles servaient. Que changer la housse de têtière une fois par semaine, ce n'était pas suffisant. Qu'il fallait lire les instructions pour la dilution des produits de trempage des instruments...etc.
Au bout de quelques mois, je prends une collaboratrice pour le jour où je ne travaille pas, parce que ce gentil dentiste avait très bonne réputation et une forte patientèle. Il travaillait 5 jours et demi par semaine et ça, c'est quelque chose que je ne peux pas faire, je n'en ai pas la force physique.
Ma collaboratrice est sortie de la fac il y a 2 ans. C'est ce que je voulais, permettre à un jeune de se dépatouiller un peu, on est tous passés par là, tout en me permettant d'ouvrir le cabinet du lundi au samedi. Elle a travaillé deux jours chez moi et me dit, ce matin, qu'elle n'est pas sûre de pouvoir continuer, parce qu'elle trouve trop violent de devoir annoncer aux gens que leur gentil dentiste qui les suit depuis si longtemps a laissé pourrir leur bouche, que sa crédibilité à elle, de jeune dentiste qui sort de la fac, en prend un coup face à la confiance que les gens ont dans leur ancien dentiste et qu'elle ne pensait pas qu'il était possible que des patients acceptent ce genre de dentisterie en 2014. Je la comprends, il y a des jours où j'enrage contre lui. C'est dommage, elle a bonne esprit cette petite. J'aimerais bien qu'elle reste un peu.
Et là-dessus, Montebourg vient me dire que je suis rentière et l'IGF que je suis conseillère en prothèse.
Pour paraphraser une grande philosophe contemporaine, j'ai envie de dire :
"Nan, mais allo, quoi !"
--
Sarah Kay
11/08/2014 à 21h16
C'est le lot de tout le monde. J'ai aussi connu un peu (un peu seulement car j'ai eu la chance de tomber surtout chez de bons dentistes) ce genre de choses.
En prenant de l'âge et de l'expérience, on voit les choses autrement. On devient plus diplomate, on prend de la distance, et les situations que l'on considérait désespérantes deviennent une formidable opportunité de séduire les patients en leur démontrant tout le bien qu'on peut leur faire.
L'avantage de l'exercice libéral, c'est que l'on choisit exactement tout dans son cabinet, sa méthode de travail, son matériel et ses produits. Impossible de changer les choses dans un contexte où l'on n'est pas à ce point maître de son destin comme dans une structure où l'on est salarié.
11/08/2014 à 22h05
La déprime de temps en temps c'est normale.
Il est difficile d'apporter sa patte, faire valoir son point de vu est encore plus complexe. Ce doit être encore plus vrai avec la reprise d'un "ancien" cabinet.
Le prédécesseur va laisser son image pour un certain moment. Le rachat n'impose pas l'oubli au patient, et il va falloir s'y faire. En attendant, Il faut se rassurer, tout le monde a des problèmes.
;)
11/08/2014 à 22h10
regarde surtout tout ce que tu vas pouvoir leur apporter en terme de qualité de service, d'engagement , de savoir faire .
Tout cela au même prix que l'ancien , en moins de 2 ans et avec patience et force explication , ils te seront certainement reconnaissants.
11/08/2014 à 22h12
Dans ma précédente collaboration, le cabinet avait appartenu à 4 praticiens dont 3 omnis qui travaillaient aussi à l'ancienne. Deux d'entre eux étaient partis depuis plusieurs années et avaient revendu à 2 jeunes consoeurs dynamiques et exerçant selon des méthodes actuelles : plan de traitement global, inlay/onlay fréquents, facettes, ...
Le constat des deux consoeurs a été le même : c'est un gros gros travail d'éducation à faire, il faut y aller par étape au début ("Mme Pichon vous avez mal à cette dent et on va la couronner, mais j'en profite pour vous signaler que telle dent, telle dent et telle dent sont fragiles aussi et seraient à faire également, peut être l'année prochaine par exemple"). Tu dois gagner la confiance des gens, leur dire la vérité sans les brusquer, mais ensuite, c'est la mine d'or. Une fois que les gens te suivent dans tes plans de traitement, tu as devant toi une patientèle qui a des besoins gigantesques ! Des plans de traitement globaux à n'en plus finir sont à ta disposition. Tu as alors le luxe fabuleux de pouvoir gagner très bien ta vie tout en restant d'une honnêteté totale, puisque les besoins sont réels.
La méthode est simple : dire la vérité mais l'adoucir, ne pas faire peur, présenter les futures choses à faire et attendre une autre occasion pour enfoncer le clou. Il sera facile pour toi de gagner la confiance des gens : avec les soins qu'ils ont en bouche, tu as des tonnes de pulpites ou d'abcès en vue ! Glisse donc des phrases du genre "telle dent est à surveiller vous savez", attend les symptômes ("ah oui ça ne m'étonne pas, on en avait parlé vous vous souvenez ?"), et hop, tu deviens le super dentiste aux yeux de tout le monde. Partant de là les gens te suivront dans tes plans de traitement et ça va rouler tout seul.
11/08/2014 à 22h20
Ca demande du doigté en effet de reprendre la clientèle d'un gentil dentiste pas cher.
(pas cher, entendre qu'il ne reste rien à charge). Bref une dentisterie sécu avec du volume et 0 qualité. Je te conseille le réciproc pour les RTE tu vas gagner du temps.-))))
11/08/2014 à 22h34
J'espère que tu n'as pas racheté ce cabinet trop cher...
La confiance des patients viendra très vite... Une fistule peut guérir en quelques jours si le retraitement est bien fait.
Et au bout de 3 ans (ça arrive plus vite qu'on ne le croit), tes patients se rendront compte de la différence, quand leurs nouvelles couronnes seront toujours en place...
La communication compte beaucoup, et il faut notamment s'adapter à ses interlocuteurs (tous ne sont pas sensibles aux mêmes arguments).
Enfin je dirais qu'il faut prendre du recul, et ton mari a mille fois raison : "au moins, tu es assuré d'avoir du travail".
C'est une bien meilleur situation que de ne pas avoir de patient du tout...
Bon courage!
11/08/2014 à 23h03
doagui écrivait:
----------------
> Glisse donc des phrases du genre "telle dent est à surveiller vous savez",
> attend les symptômes ("ah oui ça ne m'étonne pas, on en avait parlé vous vous
> souvenez ?"), et hop, tu deviens le super dentiste aux yeux de tout le monde.
Attention tu n'es pas loin de conseiller une démarche dite de "fidélisation". En effet, pourquoi attendre les symptômes alors qu'il est temps de soigner autrement qu'avec une bio-couronnne?
11/08/2014 à 23h57
Latin écrivait:
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> doagui écrivait:
> ----------------
> > Glisse donc des phrases du genre "telle dent est à surveiller vous savez",
> > attend les symptômes ("ah oui ça ne m'étonne pas, on en avait parlé vous vous
> > souvenez ?"), et hop, tu deviens le super dentiste aux yeux de tout le monde.
>
> Attention tu n'es pas loin de conseiller une démarche dite de "fidélisation". En
> effet, pourquoi attendre les symptômes alors qu'il est temps de soigner
> autrement qu'avec une bio-couronnne?
je ne pense pas qu'il parlait forcément de laisser évoluer des caries ou bio IC CCM mais plutot de ne pas assommer les patients quand il y a 3, 4 voir 8 dents ou il y a de la prothèse a (re)faire.....moi je dis toujours au patient " il y a ce que j'aimerais faire, ce qu'il FAUT faire et ce que vous POUVEZ faire en sachant qu'il y a des choses que je ne ferais pas il faut faire un mélange de tout ça pour avoir le bon compromis qui convient a tout le monde" tout en expliquant pourquoi telle ou telle dent me parait douteuse...en faisant le patient ne se sent pas avec le couteau sous la gorge et comprend bien qu'il y a beaucoup de choses a faire et que je suis soucieux de sa capacité à suivre le traitement inital......j'ai souvent de bonnes surprises
12/08/2014 à 00h20
Latin écrivait:
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> Attention tu n'es pas loin de conseiller une démarche dite de "fidélisation". En
> effet, pourquoi attendre les symptômes alors qu'il est temps de soigner
> autrement qu'avec une bio-couronnne?
Ce n'est pas du tout ce que je veux dire.
Je propose une façon de faire pour rattraper une patientèle habituée à une dentisterie à l'ancienne. Si on veut d'office tout chambouler, on risque de créer de la résistance et de perdre plein de monde. Je pense qu'il est plus raisonnable de se donner un ou deux RDV avec les gens pour annoncer tranquillement ce qu'il y aura à faire et ensuite réellement proposer de faire dans un second temps.
Pour les nouveaux patients par contre bien entendu la démarche est différente, et on peut y aller plus cash.
12/08/2014 à 00h30
Ok Doagui ça marche.
De toute façon ses patients sont sûrement déjà bien habitués à être soignés quand ils ont déjà mal, ce praticien pratiquant certainement la "fidélisation".
Et c'est vrai qu'elle s'assure des réfections de prothèse en masse, d'après ce qu'elle dit, ce qui est pas mal si les patients restent fidèles au cabinet.
Cette pratique de fidélisation que l'on constate tellement souvent est vraiment à gerber. Et malheureusement soigner dès qu'une carie est diagnostiquée lors d'un contrôle ne peut que plomber le CA du cabinet.
12/08/2014 à 01h12
Latin écrivait:
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> Cette pratique de fidélisation que l'on constate tellement souvent est vraiment
> à gerber. Et malheureusement soigner dès qu'une carie est diagnostiquée lors
> d'un contrôle ne peut que plomber le CA du cabinet.
Ceci étant les patients ne sont pas toujours dupes. Ce matin en urgence je reçois une patiente pour une couronne descellée, qui avait pourtant été rescellée par le praticien il y a 10 jours. Je découvre une racine pourrave et clairement recariée, j'explique à la patiente que je ne peux pas resceller là dessus. Elle me dit qu'elle a aussi un peu mal en secteur 4, un simple coup d'oeil et je lui dis qu'il y a une carie sur une prémo (sans radio, c'était une cavité OD visible au premier coup d'oeil).
A la fin du rdv je lui dis que bien évidemment je lui conseille de voir tout ça avec son praticien dans 15 jours, elle me dit que non, définitivement pas, puisque 10 jours avant il avait rescellé la couronne et dit que tout allait bien.
J'ai gagné une patiente sur ce coup-là, tout en restant confraternel et sans critiquer. Les patients ne sont pas toujours dupes et comprennent bien ce qui se passe.
12/08/2014 à 01h41
Bonjour Sarah,
Je crois très bien comprendre ta déprime, tu viens de réaliser que le monde peut très bien vivre sans toi et se contenter de ce que faisait ton prédécesseur.
Depuis que tu es née, et que l'on t'a affiliée avec un joli numéro à notre mère sécu avant même que tes parents ne soient allés à la mairie déclarer ta naissance, on t'a toujours dit que tu étais la meilleure, qu'il ne fallait jamais te confronter à la réalité, aux fait et là boum, tu te prends la réalité en pleine face.
Heureux les vendeurs de Ferrari car ils savent que le monde peut vivre sans Ferrari ou Mercedes.
Le grand malheur de la santé c'est de croire qu'elle est indispensable à la vie et au bonheur. Toute société peut se développer et harmonieusement quelque soit son niveau technique dans la santé. C'est un fait de nature, historique depuis la nuit des temps.
Et tu réalises comme beaucoup que trop investir dans la santé fait régresser une société, comme trop investir dans la sécurité au détriment de la création et du risque. D'autres réalisent que le principe de précaution est une régression et crée de la misère.
Tu as vécu dans l'illusion que tu pouvais imposer ta compétence aux autres, par la magie du socialisme et de la collectivisation de la santé. Les autres se rebiffent et t'envoient Montebourg pour pouvoir parler avec leurs chicots dans un Iphone tout neuf.
Tu apprends, jeune padawan, c'est bien.
12/08/2014 à 11h26
@wakrap vision bien sombre de la vie. Ce qui n’enlève pas qu'elle soit basée sur une réalité.
Après s'imaginer que le bonheur n'est que dans l'ignorance ou l’acceptation/résignation, n'est pas viable. C'est comme tout, ça demande un effort.
12/08/2014 à 14h54
Merci à tous pour vis réponses pleines d'empathie.
Je sais bien que nombreux d'entre nous sont passés par là, et que je peux faire quelque chose de très bien de cette situation, avec un peu de patience et de diplomatie.
J'avais surtout besoin de vider mon sac après la conversation avec ma collaboratrice.
Et puis je dois avouer que je ferais bien bouffer sa marinière à Montebourg.
--
Sarah Kay
12/08/2014 à 20h32
BasArtDentaire écrivait:
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> Après s'imaginer que le bonheur n'est que dans l'ignorance ou
> l’acceptation/résignation, n'est pas viable. C'est comme tout, ça demande un
> effort.
Ce n'était pas mon propos.
Je suis finalement plutôt dans le trip Ayn Rand. Le bonheur se trouve dans l'égoïsme(l'égoïsme rationnel pour reprendre la définition littérale). Le malheur dans l'égocentrisme. C'est le point que j'ai tenté de relever.
Nos propos sont en plein dans ma lecture du moment :La source vive.http://www.contrepoints.org/2013/12/09/149237-lessentiel-des-livres-dayn-rand-la-source-vive
Livre que je trouve plus pertinent (mais pas moins plaisant) que son best seller, La grève.
12/08/2014 à 21h00
doagui écrivait:
----------------
> Le constat des deux consoeurs a été le même : c'est un gros gros travail
> d'éducation à faire, il faut y aller par étape au début ("Mme Pichon vous avez
> mal à cette dent et on va la couronner, mais j'en profite pour vous signaler que
> telle dent, telle dent et telle dent sont fragiles aussi et seraient à faire
> également, peut être l'année prochaine par exemple"). Tu dois gagner la
> confiance des gens, leur dire la vérité sans les brusquer, mais ensuite, c'est
> la mine d'or. Une fois que les gens te suivent dans tes plans de traitement, tu
> as devant toi une patientèle qui a des besoins gigantesques ! Des plans de
> traitement globaux à n'en plus finir sont à ta disposition. Tu as alors le luxe
> fabuleux de pouvoir gagner très bien ta vie tout en restant d'une honnêteté
> totale, puisque les besoins sont réels.
Exactement.
Je suis dans ta situation, je passe après un confrère qui bossait à l'ancienne. Je suis AHU donc pas encore à plein temps au cab et je procède comme ça.
Je préfère cette situation à avoir racheté à un praticien qui travaille mieux que moi : tu n'as rien à faire à part de la maintenance, et tu sais que tu es moins bon donc tu n'arriveras jamais à faire ta place et à le remplacer dans l'esprit des patients.
Là au moins tu as du boulot...Même si ça peut noyer au début !
12/08/2014 à 23h45
Et si ta collaboratrice part, bosse le temps qui est bon pour toi.
Le cabinet n'est pas ouvert du lundi au samedi, est de ton seul ressort d'assurer un tel service?
Je crois que tu connais déjà tes limites et c'est vraiment très bien. Car pour être appréciée des patients il faut être en forme et disponible. Et la gestion d'un cabinet n'est pas uniquement du temps au fauteuil.
Bon courage à toi, et n'hésite pas à partager avec des confrères, sur internet certes mais aussi en réel.