Tous les forums
Lassitude
08/12/2005 à 13h44
Tu as plein de lecteurs, mon ami, qui apprécient ce dynamisme que tu nous insuffles.
08/12/2005 à 15h33
Il n'y a pas à remercier, c'est sincère. Tu as même des lecteurs fidèles.
08/12/2005 à 16h22
innocent Ecrivait:
-------------------------------------------------------
> vous avez de la merde dans les yeux?
Tu veux savoir si nous sommes comme toi ?
09/12/2005 à 15h59
En apercevant la rombière emperlouzée au fond de la salle d’attente, je ne pressens rien de bon. Moi qui aime le patient tout simple, ouvert, gentil, souriant, je vais devoir me farcir une pimbèche pincée et raide comme la justice. Elle a avalé son pébrock, ou quoi ? Elle ose pas bouger d’un poil, de peur de faire péter quelque chose. Faut dire qu’elle est figée-compressée dans une gangue rigide à plusieurs couches : un enduit épais de fond de teint séché-poudré vaguement orange, une gaine intégrale plaque-bourrelets, un tailleur trop juste, une permanente gonflée laquée jusqu’à croustillance, sans compter sa collec’ de breloques plaquées or qui carillonnent au moindre mouvement.
« Madame Tétacla’ch ? C’est à nous »
Pas un mot, pas un rictus, pas même la convulsion zygomatique de 3 milli-secondes que ce genre de bonne femme vous envoie parfois en guise de politesse. Un fugace, mais rapace coup d’il par dessus ses petite lunette plaquées or, sur chaînette plaquée or, et la voilà qui commence à réunir tout son bordel éparpillé autour d’elle : le foulard Hermès, le ridicule sac à main vernis à fermoir plaqué or, le pépin, les trois sac à emplettes ( Madâme a pour occupation principale de crébillonner ! ), le manteau en poils d’on ne sait quelle pauvre bestiole innocente…
C’est pas possible, elle s’est parfumée au Karcher, la bourrique ! Angel, z’appellent ça une fragrance, tu parles, c’est un répulsif, écurant et poisseux. Va encore falloir bosser en apnée !
« Tout au fond, s’il vous plait » lui dis-je dans un sourire faux-jeton, en lui indiquant du doigt l’extrémité du couloir, des fois qu’elle aurait l’idée de creuser !
La revêche passe devant moi sans un regard et file à petits pas nerveux vers la salle de soins. J’aime bien, à ce moment-là, lui emboîter la démarche, profitant du court privilège de pouvoir la mater de haut en bas tandis qu’elle ne me voit pas. Méfiance quand même, il y a une vitre en face qui fait un peu miroir. Je me prends alors à rêver, et je m’imagine lui collant sèchement la main au panier en lui tonitruant façon Depardieu : « Allons, Gisèle, décontracte-toi un peu des fesses ! ».
Le barda de nouveau étalé, je l’invite à poser les sus-dites fesses sur la chaise de bureau. Commence alors un face-à-face tendu. J’entends l’harmonica lancinant d’ Il était une fois dans l’Ouest. De mon côté, nonchalamment vautré dans mon fauteuil de PDG en skaï véritable, la tête légèrement inclinée et le regard profond ( bon, j’ fais ce que j’ peux, j’ai pas les yeux bleus d’Henri Fonda), je joue le décontract’, sûr de lui, très à l’aise avec ceux d’ la haute. Je sais qu’en quelques coups d’ z’yeux furtifs et auto faux cul, elle m’aura scanné entièrement, jaugé, expertisé. De ces quelques secondes dépendra la suite. C’est elle ou moi. Elle s’écrasera devant le mâle dominant, ou elle écrasera le faiblard de toutes ses frustrations accumulées.
« Alors, Madame, que puis-je pour vous ? »
« Et bien, voilà, c’est assez compliqué, je suis un cas spécial… »
« Oh, putain ! »
« Pardon ? »
« Non, rien, je vous écoute. »
Et la voilà de m’ raconter qu’elle fut pendant 30 ans suivie par son beau f’, dentiste dans les beaux quartiers de la capitale, trrès réputé ( « son nom ne vous dit rien ? Ah, bon !?), excellent et tout et tout, depuis peu en retraite.
Et je suis complètement désemparée, et lui seul connaissait bien ma denture, et je n’ai pas mon dossier, et blablabla…
« Bien, bien, bien. Mais quel est votre problème aujourd’hui, chère Madame ? »
« Oh, là là, il faut que je reprenne tout depuis le début, c’est une longue histoire… »
« Bon, écoute, Germaine, tu vas pas nous les briser menues, va t’installer là-bas, ouvre la bouche et ferme ton gicleur, si tu vois c’ que j’ veux dire ! » Non mais !
Attention, la bourgeoise décatie ne s’installe pas n’importe comment !
1. Dos au fauteuil, elle se passe les deux mains sur les deux fesses pour ne pas froisser jupette et pose pétard
2. D’un élégant mouvement tournant, elle soulève les guibolles et gire à gauche, l’arrière-train faisant pivot, tout en tirant des deux mains le bord inférieur de la jupe pour planquer le jupon à dentelle sous-jascent
3. Gardant les genoux un poil fléchis, elle ratatine le revêtement tout neuf de votre fauteuil à coups de talons aiguilles ( « Tu sais combien, ça coûte, grognasse ? »)
4. . Elle retourne la teuté pour viser la têtière, exige qu’on la rapproche, se tient la mise en plis et pose à peine la nuque de crainte de foutre en l’air trois plombes de coupe-tifs.
Déjà, je me réjouis de la voir, à la fin de la séance, l’occiput aplati et le trognon exposé. Mais pour l’heure, tandis qu’elle me croit béat d’extase devant les uvres du beau-frère, je m’affaire à lui étaler subrepticement autour de l’avaloir le rouge à lèvres qu’elle s’est beurné épais juste avant de venir. La prochaine fois, elle fera gaffe ! J’ai bien envie de lui dire que ce n’est pas parce qu’on n’a plus de lippe supérieure qu’il faut se dessiner une moustache. Mais à quoi rime cette nouvelle mode débile de vouloir absolument ressembler à des carpes pipeuses comme Emmanuelle Béart ou Deneuve après leur greffe de loche ?
Je me vois mal expliquer à la précieuse qu’il faudrait tout ravaler du sol au plafond, vu l’état général du chantier : plombages des années folles, boîtes de conserves en vieil or corrodé, bourrages, branlements et autres entartrages. Heureusement, une seule chose l’ « enquiquine », une carie nantaise, de type réservoir à foie gras, sur 44 ( elle me donne le numéro de la ratiche, histoire de m’impressionner).
Voyons voir, ouvrez bien grand , un petit coup de soufflette et paf, je me prends entre les deux yeux un bout de barbaque décomposée. C’est agréable ! Demi-tour, merci lingette.
Grâce à ma grande expérience clinique, je pose mon diagnostic instantanément : nous sommes en présence d’un trou infâme !
Mon plan de traitement est élaboré aussi sec : il s’agit de pulvériser la matière immonde qui s’y putréfie, puis de coller consciencieusement, ci- dedans, et en 15 minutes, un composite photo. Et adieu Berthe !
La vieille bique, maintenant barbouillée et hirsute, semble satisfaite, presque aimable, je dis bien « presque ». Elle remballe et me donne du « Docteur » en quittant la pièce. C’est c’ lâ !
En feuilletant l’Indépendentaire le lendemain, je me fais du mouron. Si j’avais eu la niaque de me faire former par Coach Binhas, pour à peine 80000 balles les 10 feuillets, ou par Coach Rodolphe Cochet pour une misère du même ordre, je serais devenu moderne et performant. Au lieu de faire un minable Z6-Sc 9 avec Germaine-l’Aristo, j’aurais consacré deux heures à établir un plan holistique d’enfer : Panoramique, explication vulgarisée des multiples pathologies parodonto-occluso-endo-implanto-prothétiques de la pauvre patiente ( une malade qui s’ignore, ça émeut !), motivation Quick-Dental, éducation au brossage ( méthode du rouleau, dite aussi du bigoudi), devis mirobolant, entente financière, consentement vaguement éclairé, tests salivaires, diagnostic microbiologique (« z’avez-vu l’amibe, là ? »), scanner, prise de sang, prélèvement temporal ( à droite, sous la permanente), sinus-lift et greffe de conjonctif enfoui , 7 implants, 22 inlay-cores en or jaune et autant de céramiques sur or. Le rêve, quoi !
Au lieu de quoi, je suis chez moi à jouer de la musique avec mon fiston. Quel con, alors !
09/12/2005 à 16h14
Génial, plus besoin d'emmener ses fleuves noirs au cab; on a du vécu direct sur eugenol.
"Ce chirurgien dentiste de l'Ombre sera mon successeur"
Patrice Dard
09/12/2005 à 16h17
Franchement excellent. Te casses pas la tête à faire dentaire, reste chez toi ave ton fiston pour jouer de la guitare et écris des bouquins : ce sera l'angoisse de la page blanche et non plus celle de la bouche pleine.
09/12/2005 à 16h17
ENCORE ! ENCORE ! ENCORE ! vraiment génial Pal!
09/12/2005 à 17h33
Bravo bravo bravo, Cabrel écrivait "à l'encre de ses yeux" toi c'est à l'encre de leur bouche!!merci de ces moments de pur bonheur, je vais accueillir la cousine de cette chère Madame Tétacla'ch qui m'attend en salle d'attente avec un grand sourire
09/12/2005 à 17h39
comme le titre l'indique, ça devient lassant de te lancer des bravos (bravi, mac?)
mais tu les mérites, alors bravo.
09/12/2005 à 18h02
Merde, bravo aussi PAL, tranche de vie de dentiste hyper réaliste.C'est tellement exactement comme ça qqfois ( et même les pensées du dentiste !)
09/12/2005 à 18h13
genial,prix d'excellence a l'unanimite
j'attends la prose sur le sale gosse hyperactif
et je change de parfum...
09/12/2005 à 18h25
C'est vrai que c'est super bien écrit,mais le narrateur pourrait se mettre à la place de cette patiente ,et de l'angoisse d'aller pour la première fois chez un praticien que l'on ne connait pas.
Il serait amusant d'avoir la réplique et qu'avec la même verve le narrateur fasse un topeau de la patiente sur la description de son praticien !